La décision Neptune Sécurité Services inc. c. Ville de Québec, rendue par la Cour supérieure en mai 2020, est une belle illustration de la distinction qui existe entre la résiliation-sanction, la résiliation unilatérale et les conséquences associées à chacune d’entre elles dans le cadre d’un contrat d’entreprise. Il est important de rappeler qu’un contrat d’entreprise ou de service, prévu à l’article 2098 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), est le contrat par lequel :
[…] une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.
Dans cette affaire, la Ville de Québec (ci-après « Ville ») résilie quatre contrats d’entreprise accordés à Neptune Sécurité Services inc. (ci-après « Neptune ») et empêche celle-ci à soumissionner sur tout appel d’offres public de la Ville pour deux ans. Ce faisant, Neptune réclame des dommages et intérêts à la Ville puisqu’elle considère que les résiliations des contrats et la déclaration d’inadmissibilité à soumissionner sont non fondées et illégales. Ainsi, les questions en litige visaient à déterminer quel mode de résiliation avait été exercé par la Ville et de ce fait, quels dommages pouvaient être réclamés par Neptune.
Selon le Code civil du Québec, il existe deux façons de mettre fin à un contrat d’entreprise et les conséquences qui découlent de chacune d’elles sont bien différentes.
La résiliation-sanction permet au client (créancier) de mettre fin au contrat et de réclamer des dommages (ex : les coûts supplémentaires pour l’achèvement des travaux par un autre entrepreneur) ou une réduction proportionnelle de ses obligations à l’encontre de l’entrepreneur (débiteur) qui n’exécute pas ses obligations contractuelles. Advenant le cas où le client résilie sans droit le contrat d’entreprise, l’entrepreneur peut réclamer les dommages qui découlent de cette résiliation tels que les pertes subies et le gain dont il est privé. Ce type de résiliation doit, cependant, satisfaire à certaines conditions soient :
La résiliation unilatérale, quant à elle, permet au client (créancier) de mettre fin au contrat, à tout moment, sans avoir à justifier de quelconques motifs envers l’entrepreneur (débiteur). Le client renonce ainsi aux sanctions (dommages et réduction proportionnelle de ses obligations) et prive l’entrepreneur d’une réclamation en dommage. Ce dernier ne peut donc réclamer que les frais et dépenses encourus dans le cadre du contrat. Par ailleurs, le client est tenu de payer à l’entrepreneur la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat et l’entrepreneur est tenu de restituer au client les avances qui excèdent ce montant.
L’une des problématiques au cœur du litige entre la Ville et Neptune concernait la rédaction ambiguë des clauses de résiliation contenues auxdits contrats et l’imprécision des motifs invoqués par la Ville à l’encontre de Neptune pour mettre fin à ceux-ci. En effet, les clauses de résiliation, telles que rédigées, permettaient à la Ville d’opter pour une résiliation-sanction ou une résiliation unilatérale. Ce sont toutefois les raisons justifiant de mettre fin aux contrats qui ont créé un doute sur le choix du type de résiliation. Ainsi, selon la Ville, il s’agissait de résiliations unilatérales, tandis que pour Neptune, il s’agissait de résiliations-sanctions.
Vu l’absence de précision sur le mode de résiliation, le Tribunal se devait d’analyser les faits entourant la résiliation des contrats afin d’identifier le mode choisi. C’est donc à la lumière de la résolution adoptée par la Ville pour la résiliation des contrats que Tribunal conclut que cette dernière, en résiliant et réservant ses recours en dommages contre l’entrepreneur, a fait le choix de mettre fin aux contrats sur la base de la résiliation-sanction.
Le type de résiliation ayant été établi, le Tribunal devait ensuite évaluer les conditions et les motifs au soutien des résiliations-sanctions. Rappelons que, l’une des conditions de ce mode de résiliation, est la mise en demeure de l’entrepreneur par le client. Dans le présent cas, il n’y avait eu aucune mise en demeure de la Ville informant Neptune d’une éventuelle résiliation des contrats. Ainsi, pour ce seul motif, le Tribunal a rejeté le droit à la résiliation-sanction de la Ville pour les contrats intervenus avec Neptune.
Le Tribunal poursuivit tout de même son analyse sur une autre des conditions de la résiliation-sanction, soit l’importance des manquements. Dans le cas sous étude, les résiliations avaient été faites en se fondant sur les causes énoncées dans le Rapport d’évaluation de rendement insatisfaisant (ci-après « RRI ») qui rendait inhabile Neptune à soumissionner pendant deux ans sur des appels d’offres de la Ville. Selon cette dernière, il était incohérent que les contrats se poursuivent à la suite du RRI et c’est pour cette raison que la Ville a mis fin auxdits contrats. Ainsi, en précisant que la Ville était forcée, par souci de cohérence, à résilier les contrats, celle-ci laissait entendre que les fautes justifiant le RRI devaient nécessairement justifier la résiliation des contrats en cours. Le Tribunal ne partagea pas ce point de vue et conclut que les défauts, même cumulés, étaient de peu d’importance et ne permettaient pas de résilier les contrats en cours d’exécution. En effet, le fait de déclarer inhabile Neptune à soumissionner, ne créait pas un défaut d’exécution et ne constituait pas une faute substantielle donnant droit à la résiliation-sanction.
Le Tribunal en vint donc à la conclusion que la résiliation-sanction des contrats était mal fondée et avait été imposée sans droit par la ville. Neptune était donc en droit de réclamer des dommages liés à la perte des contrats.
Me Anne-Marie Jutras, avocate, médiatrice et arbitre accréditée
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