Tout allait bien au début de votre partenariat avec votre coactionnaire, mais la complicité des premiers temps s’est étiolée et vous ne voyez plus les choses de la même façon. Vous avez même l’impression que la situation ne peut plus durer et que les choses risquent de dégénérer dans un avenir plus ou moins rapproché. Que faire et comment se sortir d’une telle situation?
En tant qu’avocate d’expérience ayant œuvré dans de nombreux litiges entre actionnaires et jouissant de vingt-sept années de pratique en droit des affaires et droit commercial et de plus d’une quinzaine d’années d’expérience en tant que médiatrice accréditée en matières civiles et commerciales, j’ai rassemblé ci-dessous quelques conseils d’ordre général qui pourront vous aider dans une telle situation. Évidemment, ces éléments ne sont pas exhaustifs et, selon les circonstances, d’autres conseils pourraient certainement s’avérer judicieux. Si vous désirez en discuter ou si vous avez des questions à ce sujet, n’hésitez pas à me contacter. Je prendrai le temps d’analyser votre dossier et de vous conseiller en fonction des particularités propres à votre situation.
Tout d’abord, évitez de réagir sous le coup de l’émotion et de l’impulsivité. Il est normal qu’il y ait beaucoup d’émotions dans un tel conflit, après tout, il s’agit de votre entreprise et vous vous y êtes investi totalement au cours des dernières années, voire des dernières décennies. Aussi, vous et votre coactionnaire avez partagé les mêmes ambitions et les mêmes objectifs pour l’entreprise. Ensemble, vous avez réalisé de nombreux projets, relevé de nombreux défis et vous n’avez pas compté vos heures pour atteindre vos ambitieux objectifs pour l’entreprise. Il est donc tout à fait compréhensible d’éprouver un peu de difficulté à accepter que les choses soient différentes maintenant et que cette situation engendre toutes sortes d’émotions. Toutefois, dites-vous que les sentiments sont rarement de bons conseils pour régler un litige en affaires. Au surplus, votre « divorce corporatif » avec votre partenaire d’affaires aura nécessairement des conséquences à plusieurs niveaux. Il faut donc voir à agir de façon avisée et raisonnée.
Si vous avez conclu une convention entre actionnaires, il est temps de la ressortir et de la relire. Si certains termes utilisés ne vous apparaissent pas clairs ou si vous n’êtes pas familier avec les mécanismes prévus dans la convention, voyez à obtenir conseils auprès d’un avocat spécialisé en droit commercial.
Cette démarche engendrera des dépenses et, puisque vous vivez une période d’incertitude, vous aurez peut-être le réflexe de vouloir éviter toute dépense additionnelle dans un tel contexte. Mais, au bout du compte, se priver de conseils juridiques ne serait pas une décision avisée. En effet, pour éviter de rester dans cet état d’incertitude, vous devez connaître vos options. Pour cela, il vous faut consulter un avocat d’expérience œuvrant dans le domaine et qui saura vous écouter et vous conseiller judicieusement. Cela vous donnera l’avantage de bien connaître vos droits ainsi que ceux de votre coactionnaire. De cette façon, vous pourrez prendre une décision éclairée en toute connaissance de cause. Investir dans des conseils juridiques sur cette question pourrait donc s’avérer fort rentable.
Ne vous arrêtez pas en cours de chemin : une seule rencontre avec un avocat d’affaires ne suffit pas. Cette démarche devrait plutôt être le point de départ d’un processus que vous traverserez avec votre avocat qui sera votre conseiller juridique et stratégique dans cette période de transition annonciatrice de changements majeurs. Même s’il peut être tentant d’essayer de négocier et de régler ce différend avec votre coactionnaire « sans les avocats », cette approche pourrait s’avérer hasardeuse et périlleuse. En effet, il arrive malheureusement trop souvent que les clients décident de consulter alors qu’ils ont conclu une entente avec leur coactionnaire et qu’ils ont maintenant l’impression qu’ils ont fait trop de concessions. Parfois, de bonne foi, ils ont tenu pour acquis que tout deviendrait clair pour eux une fois l’entente conclue et ils réalisent qu’ils ne savent pas exactement ce qui découlera de l’entente conclue avec leur coactionnaire, car trop de zones grises subsistent. Il faut consulter avant d’agir et non l’inverse.
D’abord, dites-vous que votre avocat n’est pas là pour provoquer ou exacerber le conflit, au contraire. Ses conseils judicieux pourraient même aider à tempérer le conflit et permettre une solution non judiciarisée de votre litige avec votre coactionnaire. Ainsi, dans une telle situation, il faut avoir le sens de l’initiative et ne pas attendre que le conflit dégénère avant de consulter.
Par ailleurs, si vous présentez une offre à votre coactionnaire sans même connaître vos droits ou ceux de votre coactionnaire, vous risquez de commettre un faux pas et de prendre une position qui pourrait vous nuire ultérieurement. Ainsi, en dépit de vos bonnes intentions, vous pourriez faire en sorte que le différend se complexifie ou ne s’aggrave et qu’il se transpose rapidement devant les tribunaux.
D’autres professionnels pourraient aussi être mis à contribution afin de bien vous éclairer. Ainsi, les services d’un évaluateur, d’un comptable ou d’un fiscaliste pourraient être requis. Surtout, ne perdez pas de vue que vous n’aurez pas la chance de revenir en arrière et que les prochaines étapes risquent d’avoir un impact décisif sur les développements futurs. Il est donc primordial de vous assurer d’être bien conseillé et d’éviter de vous laisser guider par les émotions.
Si vous avez signé une convention entre actionnaires, vérifiez si une disposition particulière régit la situation que vous vivez actuellement ou, de façon plus générale, si une disposition prévoit le processus de retrait d’un actionnaire. Votre convention entre actionnaires peut aussi stipuler que l’actionnaire sortant a l’obligation d’offrir ses actions en vente à la société ou à son coactionnaire. Il arrive aussi que la convention entre actionnaires mentionne que, dans un tel cas, l’entreprise a l’obligation de racheter les actions de l’actionnaire sortant (pour autant que cela ne la place pas dans une situation de défaut quant aux ratios financiers qu’elle doit respecter). Il faut donc s’en remettre au mécanisme prévu à la convention dans l’optique de mettre en œuvre une issue non-judiciarisée à ce différend.
Il est aussi possible que votre convention entre actionnaires soit désuète et que, de ce fait, elle ne vous offre pas une solution réaliste ni même envisageable. Si tel est le cas, il serait judicieux de rechercher avec l’aide de votre avocat une solution négociée auprès de votre coactionnaire. Cette négociation se ferait alors sur de nouvelles bases en tenant compte des intérêts de chacun. En effet, votre coactionnaire pourrait être prêt à mettre la convention entre actionnaires de côté si la solution proposée lui confère des avantages qu’il ne retrouve pas dans la convention entre actionnaires. En contrepartie, vous pourriez obtenir des concessions de sa part sur des points qui sont importants pour vous. Toutefois, n’oubliez pas qu’en l’absence d’une solution à l’amiable, ce sera la convention entre actionnaires qui devra s’appliquer, à moins que la disposition en question ne soit invalidée par les tribunaux.
Avant de prendre une décision, vous devez d’abord connaître les options qui s’offrent à vous – en fonction de vos droits et de ceux de votre coactionnaire – et les évaluer judicieusement tout en gardant l’esprit ouvert aux différentes possibilités. Cette étape devrait se faire avec l’assistance d’un avocat expérimenté dans le domaine et au besoin, des autres professionnels cités précédemment.
N’oubliez pas qu’il est de votre devoir de transmettre toute l’information pertinente à votre avocat et de répondre avec transparence à ses questions. Sachez que les droits des actionnaires de l’entreprise pourraient aller au-delà de ce qui est spécifiquement prévu dans la convention entre actionnaires et dans la loi constitutive de l’entreprise. C’est pourquoi il est important de donner un portrait juste de la situation à votre avocat. À titre d’exemple, si des coutumes et des façons de faire particulières se sont créées au fil des années au sein de l’entreprise, il est possible que ces façons de faire aient fait naitre des attentes raisonnables chez vous ou chez votre coactionnaire et que ces attentes, si justifiées dans les circonstances, aient engendré des obligations à l’égard de l’actionnaire, même si celles-ci ne sont pas explicitement reconnues dans la convention entre actionnaires.
Aussi, puisque vous êtes bien familier avec les enjeux de votre secteur et de votre entreprise en particulier et que vous avez l’avantage de bien connaître votre coactionnaire – ce qui, en principe, ne devrait pas être le cas de votre avocat -, n’hésitez pas à discuter avec lui de vos préoccupations et de vos appréhensions. Cela vous permettra à tous les deux d’avoir une vision élargie de la problématique propre à votre situation. Avant de mettre en œuvre une stratégie, il faut s’assurer que les conséquences qui en découlent, tant sur le plan juridique que sur les plans financier, humain et réputationnel, sont adéquats et appropriés à votre situation.
Même s’il s’agit ultimement d’une décision d’affaires, il ne faut pas commettre l’erreur de se concentrer uniquement sur l’aspect financier. Votre divorce corporatif aura des impacts sur de nombreux aspects qu’il ne faut surtout pas négliger. Ces impacts pourraient être encore plus lourds si vous laissez la situation s’aggraver en espérant que les choses rentreront dans l’ordre d’elles-mêmes ou si, à l’inverse, vous vous lancez tête baissée dans la confrontation judiciaire. Entre ces deux extrêmes, une approche modérée, axée sur les solutions et empreinte de bonne foi, est à préconiser.
Les litiges entre actionnaires sont souvent coûteux. De plus, même s’ils finissent la plupart du temps par se régler hors Cour, de façon réaliste, force est d’admettre que cela prend habituellement un certain temps avant d’en arriver à une entente à l’amiable. Or, entretemps, le coût à payer – sur plusieurs plans – pourrait finir par peser lourd sur vous, sur votre entreprise, sur vos employés ainsi que sur les membres de votre famille.
Également, au-delà de l’aspect financier, ce type de litige peut affecter le bon déroulement des activités de votre entreprise, la fragiliser et nuire à sa réputation auprès de vos employés, de vos clients et de vos fournisseurs. Votre institution prêteuse et vos autres créanciers pourraient aussi s’inquiéter de voir que votre mésentente avec votre coactionnaire prenne une telle ampleur et soit ainsi exposée publiquement devant les tribunaux.
Ainsi, sauf exception, il vaut mieux se donner le temps d’explorer d’autres avenues que celle de la voie judiciaire.
Si vos efforts de négociation ne portent pas fruit, mais que vous et votre coactionnaire avez toujours le désir de régler votre différend sans avoir recours aux tribunaux, pensez aux méthodes de prévention et de règlement des différends (les « PRD »). La négociation fait partie des PRD et les parties y ont souvent recours d’emblée. Aussi, depuis la réforme du Code de procédure civile en 2016, les parties ont l’obligation de considérer les PRD avant d’entreprendre un recours judiciaire.
Ainsi, si la négociation échoue, vous pouvez, d’un commun accord, convenir de soumettre votre différend à un médiateur accrédité matières commerciales. Son rôle sera de vous aider à trouver une solution mutuellement satisfaisante, le tout, dans un cadre serein et confidentiel. Vous pourrez aussi être accompagné par votre avocat au cours de la médiation et votre coactionnaire pourra évidemment en faire de même.
Il arrive que la médiation ne soit pas une avenue appropriée pour mettre fin au conflit, notamment parce que les actionnaires ont des positions trop radicalement opposées et ne peuvent trouver un terrain d’entente.
Si la médiation échoue ou si vous ne pouvez ou ne voulez pas aller en médiation, vous pouvez soumettre votre différend à un arbitre qui rendra une décision finale et sans appel. Ce faisant, le processus demeurera confidentiel, ce qui est un avantage notable dans le cas de conflit entre actionnaires (puisqu’il ne faut pas l’oublier, les débats judiciaires sont publics en matière commerciale). Par ailleurs, dans la plupart des cas, le processus d’arbitrage s’avérera moins couteux et plus rapide qu’un recours entre actionnaires devant la Cour Supérieure. Enfin, il y a aussi la possibilité de faire appel à un processus hybride, soit le « med-arb ». L’arbitre agit d’abord en tant que médiateur et, s’il n’y a pas d’entente, il entend les parties et décide du sort du litige en rendant sa sentence arbitrale. Enfin, contrairement à la croyance populaire, l’arbitre peut émettre des ordonnances de sauvegarde et des ordonnances de nature injonctive avant de rendre sa décision, ce qui peut permettre d’assurer un certain équilibre durant le processus.
Pour plus de détails à ce sujet, je vous invite à consulter les pages de notre site web sur les méthodes de prévention et de règlement des différends (PRD) ainsi que sur l’arbitrage. Certaines de nos chroniques abordent également ces sujets.
Enfin, si vous désirez une opinion sur votre situation, contactez-moi, il me fera plaisir de vous conseiller.
Me Anne-Marie Jutras, avocate, médiatrice et arbitre accréditée
JUTRAS AVOCATS INC.
info@jutrasavocats.ca
450.238.1407 (poste 160)
514.745.5995 (poste 160)
AVIS : Cet article vise à informer au sujet de l’actualité juridique et ne constitue pas un conseil juridique.
Tous droits réservés – Jutras Avocats inc.
Les renseignements contenus dans cette chronique sont communiqués à titre informatif uniquement et ne sauraient constituer un avis juridique sur un cas en particulier. Pour obtenir une opinion juridique, nous vous invitons à nous consulter.