Le projet de loi 78 intitulé « Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises » (« Loi sur la transparence ») a été sanctionné le 8 juin 2021, mais la grande majorité de ses dispositions ne sont entrées en vigueur que le 31 mars 2023.
Dans la présente chronique, nous traiterons des principales modifications que la Loi sur la transparence ont apporté à la Loi sur la publicité légale des entreprises (« LPLE ») ainsi que les mesures que vous devez prendre pour que votre entreprise s’y conforme.
Les principaux changements apportés à la Loi sur la publicité légale des entreprises
La Loi sur la transparence a engendré plusieurs changements importants à la LPLE. Ceux-ci visent à favoriser la transparence des entreprises afin de mieux protéger le public tout en luttant contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption. Pour atteindre ces objectifs, le rôle du Registraire des entreprises (« REQ ») est élargi et des mesures sont mises en place afin d’optimiser la fiabilité des informations publiées au REQ.
Les principales nouveautés de la LPLE sont les suivantes :
Depuis le 31 mars 2023, tous les organismes et entreprises immatriculés auprès du REQ doivent se conformer à ces nouvelles dispositions, et ce, peu importe leur loi constitutive. Si, au 31 mars 2023, la déclaration annuelle de votre entreprise a déjà été produite, vous devrez vous y conformer lors du dépôt de la prochaine déclaration de mise à jour annuelle de votre entreprise. Par ailleurs, s’il s’agit d’une nouvelle entreprise ou d’une entreprise nouvellement immatriculée au Québec, la déclaration d’immatriculation initiale devra respecter ces exigences.
À qui s’applique ces nouvelles dispositions?
La LPLE utilise le terme « assujetti » pour désigner « une personne ou un groupement de personnes qui est immatriculé volontairement ou toute personne, fiducie ou société de personnes qui est tenue de l’être » (article 0.2 LPLE).
Ainsi, de façon générale, ces nouvelles dispositions s’appliquent aux:
– personnes physiques exploitant une entreprise individuelle;
– sociétés par actions;
– sociétés en nom collectif ou en commandite;
– coopératives;
– fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial;
L’article 33 LPLE exempte toutefois certaines entités de certaines obligations de divulgation. C’est le cas des personnes morales de droit public (ce qui inclut les sociétés d’État, les municipalités, les commissions scolaires, les universités, les centres hospitaliers, etc.), des assureurs, des banques canadiennes et étrangères, etc. Pour une liste exhaustive et plus de détails à ce sujet, nous vous référons à l’article 33 LPLE.
Voyons maintenant avec un peu plus de détails comment se conformer à ces nouvelles exigences:
Il s’agit, sans contredit, du changement le plus significatif apporté à la LPLE par la Loi sur la transparence. Cette nouvelle exigence permet maintenant de retracer plus facilement les personnes physiques qui ont un certain contrôle ou une influence sur l’entreprise ou l’organisme. Les bénéficiaires ultimes sont divulguées au REQ et ont aussi un nouveau registre qui leur est consacré dans le livre de la société.
Le nouvel article 0.4 de la LPLE prévoit qu’un bénéficiaire ultime est une personne physique qui rencontre l’une ou l’autre des critères suivants :
1) Personne qui détient ou contrôle, même indirectement, ou est bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qui lui confère la faculté d’exercer 25% ou plus des droits de vote afférents à celle-ci;
ou
2) Personne qui détient ou contrôle, même indirectement, ou est bénéficiaire d’un nombre d’actions, de part ou d’unités d’une valeur correspondant à 25% ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités émises par l’assujetti;
ou
3) Personne qui a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l’assujetti;
ou
4) Personne physique détenant, même indirectement, des actions, des parts ou des unités de l’assujetti et qui fait partie d’un groupe de personnes ayant convenu d’exercer conjointement les droit de vote afférents à celles-ci, si cette entente a pour effet de leur conférer ensemble la faculté d’exercer 25% ou plus de ces droits (chacune des personnes physiques faisant partie de ce groupe est alors un bénéficiaire ultime); (Il en est de même d’une personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une entité qui est partie à une telle entente.);
Par ailleurs, si l’assujetti est une société en commandite, le bénéficiaire ultime est le commandité ou, si le commandité n’est pas une personne physique, il s’agit de la personne qui en a le contrôle de fait ou qui y détient ou y contrôle directement ou indirectement 25% ou plus des droits de vote, seule ou en vertu d’une entente de vote, ou qui a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait. (Cette personne s’ajoute, à titre de bénéficiaire ultime, aux commanditaires qui rencontrent la condition no. 1 ou no.2 ci-dessus et qui sont donc, eux aussi, des bénéficiaires ultimes.)
Enfin, si l’assujetti est une fiducie (qui exploite une entreprise à caractère commercial au Québec), le bénéficiaire ultime est le fiduciaire de cette fiducie. (Cette personne s’ajoute, à titre de bénéficiaire ultime, aux bénéficiaires de la fiducie qui rencontrent la condition no.1 ci-dessus et qui sont donc, eux aussi, des bénéficiaires ultimes.)
Rappelons que l’article 33 alinéa 5 LPLE exempte certaines entités d’une telle divulgation, tel que mentionné précédemment. L’article 0.7 LPLE prévoit que ces entités sont assimilées à des personnes physiques, de sorte qu’elles doivent inscrites comme bénéficiaires ultimes.
Aussi, d’autres catégories d’assujettis peuvent en être exemptés si un règlement le prévoit (article 33 alinéa 6 LPLE). À titre d’exemple, un syndicat de copropriété n’a pas à divulguer le nom d’une personne physique comme bénéficiaire ultime, il doit simplement s’inscrire comme étant lui-même bénéficiaire ultime.
Enfin, le REQ exempte d’autres entités, pour des raisons administratives, soient : les coopératives de services financiers, les co-entreprises (« joint venture »), les sociétés de dépenses (aussi appelées « société nominale ») ainsi que les fiducies immatriculées volontairement (à ne pas confondre avec les fiducies commerciales).
Même si la question peut, à priori, sembler relativement simple, il peut devenir assez compliqué, dans certains cas, d’identifier avec justesse les bénéficiaires ultimes de l’assujetti. Par exemple, la notion de « contrôle » n’étant pas définie dans la LPLE, cela peut donner lieu à interprétation. Aussi, le contrôle peut être exercé directement ou indirectement, ce qui nécessite de s’attarder un peu plus à la situation afin de vérifier si un contrôle est exercé ou non. Enfin, il y a deux types de contrôle pouvant être exercé : il y a le contrôle de droit et le contrôle de fait. Ces deux notions sont différentes et font appel à des situations distinctes. Les réponses à ces questions se trouvent dans les décisions rendues par les tribunaux ainsi que dans les références à des lois externes (notamment, la Loi sur les impôts, Chapitre I-3). Toutefois, pour les fins de la présente chronique, nous n’aborderons pas en détail ces questions plus complexes. Nous vous conseillons plutôt de vous en remettre à un juriste compétent dans le domaine.
Quant à la notion de « juste valeur marchande » (« JVM »), la LPLE est aussi muette à ce sujet. Cette question ne soulève aucune difficulté s’il n’y a qu’une seule catégorie d’actions : le pourcentage de détention des actions permet alors d’identifier les actionnaires détenant 25% ou plus de la JVM de l’assujetti. Par ailleurs, l’exercice devient plus complexe s’il y a différentes catégories d’actions ou si l’on est en présence d’un montage corporatif comportant plusieurs entités (chacune pouvant avoir plusieurs actionnaires, de surcroît). Aussi, pour établir la détention d’un pourcentage de la JVM, il pourrait être prudent de consulter un comptable et/ou de procéder, sommairement, à certaines évaluations, selon les situations. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la JVM précise n’a pas à être divulguée au REQ. La divulgation se fait plutôt par tranches de pourcentage de la JVM détenue par les bénéficiaires ultimes, comme cela est le cas pour les droits de votes, soient : de 25% à 50%, de 50% à 75% ou plus de 75%.
Finalement, tout changement affectant les bénéficiaires ultimes doit être déclaré au REQ dans les 30 jours par le biais d’une déclaration de mise à jour.
Qu’est-ce qu’un bénéficiaire ultime?
La notion de « bénéficiaire ultime » prévue dans la LPLE ressemble à celle de « personne ayant un contrôle important » (« PCI ») contenue à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) depuis juin 2019, sans toutefois être identique. Aussi, contrairement aux dispositions de la LCSA relativement à l’obligation, pour la société fédérale, de tenir un registre des PCI sans que les informations qui sont contenues audit registre ne soient accessibles au grand public , les informations relatives aux bénéficiaires ultimes, elles, le sont car elles sont publiées sur le site du REQ.
Sommairement, dans tous les cas où le nom d’une personne physique doit être divulguée au REQ, sachez que sa date de naissance devra aussi être transmise au REQ. Aucune date de naissance n’est toutefois publiée au registre; cette information n’étant utilisée qu’aux fins d’identification de la personne physique.
Qui sont les personnes visées par cette nouvelle mesure?
– les personnes physiques assujetties;
– les administrateurs;
– les dirigeants (qu’ils soient membres ou non du conseil d’administration);
– les associés;
– les trois principaux actionnaires;
– les bénéficiaires ultimes (« BU »);
Qui doit produire une pièce d’identité?
Pour chaque administrateur déclaré au REQ (et à chaque fois qu’un nouvel administrateur est élu au conseil d’administration), une pièce d’identité de ce dernier devra être produite au REQ. Une fois que l’administrateur a communiqué sa pièce d’identité, il a rempli son obligation et il n’aura pas à la communiquer à nouveau les années suivantes s’il continue de siéger au conseil d’administration.
Les autres personnes physiques liées à l’entreprise, telles que les actionnaires et les bénéficiaires ultimes, n’ont pas à communiquer leur pièce d’identité au REQ, cette exigence ne s’appliquant qu’aux administrateurs.
Quel est le but recherché par cette transmission?
Par cette nouvelle mesure, la protection du public s’en trouve renforcée, le registraire étant à même de s’assurer que les renseignements fournis sont exacts et qu’ils correspondent bien à ceux déjà déclarés au REQ. La communication au REQ d’une pièce d’identité valide vise également à prévenir une fraude par l’usurpation d’identité.
Quelles sont les pièces d’identité admissibles?
Pour les administrateurs canadiens, une copie d’une des pièces d’identité suivantes est acceptée:
– Passeport
– Permis de conduire (ou d’apprenti conducteur);
– Carte d’assurance-maladie;
– Carte de résident permanent du Canada;
– Document d’immigration délivré par le gouvernement du Canada (IMN-1442);
– Pièces d’identité officielles pour les militaires, les policiers ou les diplomates en poste au Canada;
– Certificat sécurisé de statut d’Indien délivré par les Services aux Autochtones Canada (SAC);
– Certificat de naissance du Québec;
– Toute pièce d’identité délivrée par une province canadienne ou un territoire canadien qui comporte une date de naissance;
Pour les administrateurs étrangers, une copie d’une des pièces d’identité suivantes est acceptée :
– Passeport ;
– Toute autre pièce d’identité délivrée par une autorité gouvernementale et sur laquelle figure une date de naissance.
Mentionnons que la pièce d’identité ne doit pas nécessairement être en français ou en anglais. Elle pourrait être de langue étrangère, pour autant que l’alphabet soit le même.
Comment procède-t-on à cette transmission et quelles conditions doivent être remplies?
De façon concrète, la transmission au REQ se fait en joignant, de façon sécurisée, par le biais des services en ligne, un fichier (constituant la copie de la pièce d’identité) en format PDF, JPEG ou PNG. Chaque pièce d’identité doit être communiquée dans un fichier distinct. Il est important de s’assurer que la pièce d’identité utilisée à cette fin est valide (donc qu’elle n’est pas expirée), que la copie transmise est lisible et qu’elle est émise par une autorité gouvernementale.
Que fait le REQ avec ces pièces d’identité?
Le REQ doit prendre les mesures requises pour traiter avec vigilance les copies des pièces d’identité transmises et ne les conserve que jusqu’à la date d’immatriculation de l’entreprise ou jusqu’à celle du dépôt de la déclaration de mise à jour de l’entreprise. Par la suite, elles sont détruites conformément à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) et la Loi sur les archives (chapitre A-21.1).
Avant le 31 mars 2023, les administrateurs et les actionnaires qui sont des personnes physiques n’avaient d’autre choix que de déclarer leur adresse de domicile au REQ. Or, il est maintenant possible, pour ces personnes physiques, d’éviter que leur adresse de domicile ne soit divulguée au public en déclarant leur adresse professionnelle.
Précisons que l’adresse professionnelle d’une personne physique est le principal lieu de son travail ou sa principale place d’affaires. Une adresse de casier postal n’est donc pas acceptée. De plus, il ne peut y avoir qu’une seule adresse professionnelle déclarée au REQ par personne physique.
Pour y voir plus clair, n’hésitez pas à nous consulter. Vous bénéficierez ainsi de notre expérience approfondie dans le domaine du droit corporatif et du droit des affaires.
Me Anne-Marie Jutras, avocate, médiatrice et arbitre accréditée
JUTRAS AVOCATS INC.
info@jutrasavocats.ca
450.238.1407 (poste 160)
514.745.5995 (poste 160)
Les renseignements contenus dans cette chronique sont communiqués à titre informatif uniquement et ne sauraient constituer un avis juridique sur un cas en particulier. Pour obtenir une opinion juridique, nous vous invitons à nous consulter.