Même si leur usage fait parfois remis en question sur le plan social, les clauses de non-concurrence sont encore fréquemment utilisées, que ce soit dans le domaine des affaires ou encore en matière d’emploi. Peu importe le domaine dans lequel elles sont utilisées, certaines règles doivent être respectées pour que de telles clauses soient valides.
Dans le domaine commercial, les limites régissant les clauses de non-concurrence seront analysées avec plus de souplesse qu’en matière d’emploi où les limites sont appliquées avec rigueur. Les clauses de non-concurrence étant une exception à la règle de la libre concurrence et au droit de chacun à gagner sa vie en travaillant, il reviendra à l’employeur de démontrer la validité de la clause de non-concurrence. Si l’employeur ne réussit pas à apporter une preuve prépondérante à cet effet, la clause de non-concurrence sera invalidée et n’aura donc aucun effet contre l’employé.
Dans cette chronique, nous nous attarderons davantage aux clauses de non-concurrence applicables dans un contexte d’emploi, tout en relevant, de façon non-exhaustive, certaines différences avec le domaine commercial.
L’exigence d’un écrit signé par les parties
Tout d’abord, une clause de non-concurrence, que ce soit en matière d’emploi ou en matière commerciale, doit obligatoirement être écrite. Par conséquent, si les parties ont eu des discussions sur le contenu d’une clause de non-concurrence, mais qu’elles n’ont pas rédigé d’écrit à cet effet ou encore qu’elles ont négligé de signer la clause de non-concurrence, celle-ci ne sera pas valide. Le fait que les parties se soient entendues sur le contenu de la clause de non-concurrence ne leur sera même d’aucun secours : une clause de non-concurrence verbale n’a aucune valeur et sera considérée comme inexistante puisqu’un écrit signé par les parties est essentiel. Il est donc important d’être vigilant sur cet aspect primordial.
Toute clause de non-concurrence doit prévoir des limites applicables sur les trois axes suivants :
1) Limite au niveau de la durée d’application de la clause;
2) Limite au niveau du territoire couvert par la clause;
3) Limite au niveau des activités prohibées par la clause;
Afin de déterminer si la clause de non-concurrence est valide, le tribunal doit procéder à l’analyse de ces trois limites tout en conservant une vue d’ensemble de la clause. Par exemple, si la limite imposée à l’employé au niveau de la durée est assez importante (compte tenu des facteurs applicables), on s’attendra à ce que les autres limites soient plus modestes (donc, des activités prohibées très spécifiques et/ou un territoire très limité). On peut donc considérer qu’il y a des vases communicants entre ces trois axes limitant les clauses de non-concurrence. Par ailleurs, si une de ces limites est totalement absente, la clause de non-concurrence sera jugée non valide.
D’autre part, si les limites imposées à l’employé sont déraisonnables parce qu’elles vont au-delà des intérêts légitimes de l’employeur, la clause de non-concurrence sera jugée invalide et aucune restriction ne sera donc imposée à l’employé (sous réserve de ses obligations de loyauté et de confidentialité prévues par le Code civil du Québec et qui demeurent donc applicables, même sans engagement écrit de l’employé à ce sujet).
L’article 2089 du Code civil du Québec régit la clause de non-concurrence conclue dans un contexte d’emploi. Cet article se lit comme suit :
2089. Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence. Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur.
Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide.
(emphase ajoutée)
L’analyse de la validité d’une clause de non-concurrence incluse dans un contrat d’emploi se fait en tenant compte des circonstances dans lesquelles cette clause a été conclue, mais aussi en considérant les circonstances qui prévalent au moment où l’employeur souhaite appliquer la clause restrictive de concurrence. Ainsi, pour décider si les limites imposées à l’employé dans la clause de non-concurrence sont nécessaires pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur, le tribunal se penche sur la situation de l’employé et de l’employeur au moment de la fin d’emploi de l’employé. Dans le cadre son analyse, le juge tient aussi compte de divers facteurs, dont : le niveau hiérarchique de l’employé, son niveau de responsabilités et ses fonctions, son pouvoir décisionnel, son ancienneté, son salaire, le domaine d’activités, le type et la structure de l’entreprise de l’employeur, le nombre d’employés qui y travaillent, etc.
Puisque la clause de non-concurrence constitue une restriction au droit légitime de l’employé de travailler et de gagner sa vie, celle-ci doit être raisonnable et ne doit pas outrepasser ce qui est requis pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. En outre, la clause de non-concurrence ne doit pas avoir une portée si vaste qu’elle empêche l’employé de gagner sa vie.
Il est important de savoir que les tribunaux refusent de réécrire une clause de non-concurrence qu’ils jugent trop vague et imprécise ou exorbitante. Il est d’ailleurs inutile pour l’employeur de prévoir dans un engagement de non-concurrence que le tribunal dispose du pouvoir de réduire une limite jugée excessive puisque cela ne se passera pas ainsi. Si les limites prévues dans la clause de non-concurrence vont au-delà de ce que l’employeur peut justifier pour la protection de ses intérêts légitimes, la clause sera jugée invalide et n’aura donc aucun effet. Rappelons que la démonstration de qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur doit être faite par ce dernier et celui-ci doit apporter une preuve prépondérante à cet effet.
Aussi, il faut garder à l’esprit que certains secteurs et certains postes se prêtent mal à des clauses restrictives de concurrence. On peut penser, par exemple, au fait qu’il n’est pas approprié d’exiger de la part d’un commis d’épicerie ou d’un caissier de signer une clause de non-concurrence. Ainsi, l’employeur doit d’abord se demander si une clause de non-concurrence est opportune pour protéger ses intérêts légitimes et il doit également voir à moduler le contenu de ses clauses de non-concurrence selon le poste occupé par l’employé, notamment.
Ceci dit, une durée de deux (2) ans ou moins ne sera pas toujours considérée comme étant une limite temporelle raisonnable. Tel que mentionné précédemment, il incombe à l’employeur de démontrer que la durée d’application de la clause est justifiée dans les circonstances. À titre d’exemple, selon nous, une adjointe administrative en poste depuis quelques mois seulement ne peut pas se voir imposer une clause de non-concurrence d’une durée de deux ans. Une telle durée serait vraisemblablement considérée comme étant excessive et la clause de non-concurrence serait donc invalidée.
D’autre part, il peut arriver qu’un employé soit également un actionnaire et que ce dernier ait signé une clause de non-concurrence dans le contexte de la convention entre actionnaires. Si tel est le cas, les règles relatives aux clauses de non-concurrence dans le contexte de contrats commerciaux s’appliqueront et non celles relatives aux contrats d’emploi. Cette règle édictée par la Cour Suprême il y a quelques années pourrait toutefois subir des exceptions. Cela pourrait être le cas, par exemple, si l’employé actionnaire ne détenait qu’un très faible pourcentage d’actions (par exemple 2%) et n’avait aucun pouvoir de négociation lorsque la convention entre actionnaires a été conclue. Il s’agit toutefois là d’un exemple qui relève d’une situation d’exception. Mentionnons que, dans le cas de contrats commerciaux, il n’est pas rare de voir des clauses de non-concurrence d’une durée de trois ans ou même cinq ans.
Au niveau de la limite territoriale, il est judicieux pour l’employeur de s’en tenir à ce qui est véritablement nécessaire. Par exemple, il n’y a pas de justification raisonnable à étendre la non-concurrence sur des territoires où l’entreprise n’exerce pas d’activités commerciales. Aussi, il sera plus facile pour l’employeur de convaincre le tribunal de la justification de la limite territoriale si celle-ci correspond au territoire activement desservi par l’employé.
Les activités qui seront interdites à l’employé (sur le territoire défini) pendant la durée prévue à la clause de non-concurrence doivent être bien définies. Ainsi, une clause de non-concurrence se limitant à indiquer que l’employé ne peut pas aller travailler pour une entreprise œuvrant dans le même domaine risque fort d’être invalidée. Il faut faire une description suffisamment précise du domaine d’activités afin que l’employé sache ce qu’il a le droit de faire et ce qu’il ne peut pas faire. De même, idéalement, les activités prohibées correspondront aux activités que l’employé exerçait au sein de l’employeur (mais, cela n’est pas toujours le cas et ce qui est opportun à ce niveau peut dépendre du contexte et du type d’industrie).
Dans tous les cas, et ce, peu importe le contexte de la fin d’emploi, l’employé demeure assujetti à ses obligations de confidentialité et de loyauté à l’égard de l’employeur.
En terminant, avant de conclure à l’absence de validité d’une clause de non-concurrence, nous vous recommandons de consulter un avocat compétent en la matière. Me Anne-Marie Jutras détient 28 années d’expérience dans ce domaine et sera en mesure de vous conseiller judicieusement et de vous aider à faire valoir vos droits.
Me Anne-Marie Jutras, avocate, médiatrice et arbitre accréditée
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Les renseignements contenus dans cette chronique sont communiqués à titre informatif uniquement et ne sauraient constituer un avis juridique sur un cas en particulier. Pour obtenir une opinion juridique, nous vous invitons à nous consulter.