Au-delà des questions de droit, il y a d’abord et avant tout l’humain. Dès la première rencontre entre l’avocat et son client, les émotions sont souvent palpables chez ce dernier. Aussi, il faut dire que certains dossiers, en raison de leur nature, comportent un bagage émotif plus chargé que d’autres. La problématique à l’origine de la démarche judiciaire engendre bien souvent du stress, de l’appréhension ou de l’inquiétude. Parfois, même, de la tristesse et de la colère. Le rôle de l’avocat est évidemment de conseiller judicieusement son client, mais pour y arriver, il doit d’abord écouter son client afin de bien comprendre ses besoins et ses enjeux.
Aussi, en matière civile (par opposition au droit criminel, par exemple), lorsqu’un client réclame que « justice soit faite », l’objectif recherché consiste habituellement à obtenir une compensation financière afin que le client soit indemnisé pour le préjudice qu’il a subi. Mais, c’est bien connu, l’argent ne règle pas tout. Ainsi, il arrive parfois que le versement d’un montant d’argent, même significatif, puisse laisser un goût amer pour le client qui le reçoit parce que cela lui semble une compensation incomplète ou insuffisante pour « tout ce qu’il a vécu ».
Cela peut notamment se produire lorsque le recours est motivé par une question de principe ou par le respect ou la défense de certaines valeurs. Dans de telles circonstances, l’expression de regret, de sympathie ou d’excuse peut avoir un effet apaisant pour le client. Il arrive même parfois que ces excuses soient plus satisfaisantes pour ce dernier qu’une compensation financière.
Au cours de ma pratique, j’ai souvent constaté que le client avait besoin de s’exprimer et de se sentir compris par la partie adverse (et ce, même en matière commerciale) et qu’outre une compensation financière, celui-ci recherchait une certaine reconnaissance, par la partie adverse, de tous les désagréments subis ou même des excuses de la part de cette dernière pour les fâcheuses conséquences engendrées par ses actes. Or, jusqu’à tout récemment, il était difficile, voire illusoire, d’obtenir des excuses de la partie adverse en raison des risques que de telles excuses soient reconnues comme un aveu de responsabilité. Bien sûr, des excuses pouvaient être données dans une salle « à porte close », sous le sceau de la confidentialité, suivant le règlement à l’amiable d’un dossier (par exemple, après une conférence de règlement à l’amiable ou d’une séance de médiation fructueuse). Mais, recevoir des excuses alors qu’un processus judiciaire était en cours ou s’annonçait éminent? Cela était presque illusoire.
Toutefois, avec l’ajout de l’article 2853.1 CCQ, entré en vigueur le 12 juin 2020, les façons de faire à cet égard pourraient bien être appelées à changer. Cet article se lit comme suit :
« 2853.1 CCQ Une excuse ne peut constituer un aveu.
De plus, elle ne peut être admise en preuve, avoir d’incidence sur la détermination de la faute ou de la responsabilité, interrompre la prescription ou annuler ou diminuer la garantie d’assurance à laquelle un assuré ou un tiers a droit.
Constitue une excuse toute manifestation expresse ou implicite de sympathie ou de regret. »
Il s’agit là d’un pas dans la bonne direction. Car, si les excuses ne sont pas, en soit, « LA » solution à tout dossier litigieux (et, dans bien des cas, ne constitueraient de toute façon qu’une compensation incomplète), il demeure que l’expression de regret, de sympathie ou d’excuses par l’autre partie, pourrait freiner certains élans de vindicte et apaiser la frustration et la colère ressenties. Cela pourrait donc permettre que le dossier se poursuive, en l’absence de règlement, sur des considérations moins émotives et avec objectifs plus tangibles et plus facilement évaluables. Cela pourrait aussi permettre de négocier la suite du dossier dans un climat plus serein parce que l’autre partie n’est plus perçue qu’en tant qu’adversaire, mais aussi, et surtout, en tant qu’humain (et donc comme un être imparfait qui peut commettre des erreurs à l’instar de n’importe quel humain).
Il est à espérer que cet article puisse permettre aux parties de tenter un rapprochement, à tout le moins sur le plan humain, en exprimant des excuses ou des regrets, sans que cela ne se fasse au détriment de leurs droits. Il m’appert que cette disposition s’inscrit efficacement dans l’objectif de favoriser la prévention et le règlement des différends et, ultimement, cela ne peut que contribuer à rendre la justice plus humaine.
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Me Anne-Marie Jutras, avocate, médiatrice et arbitre accréditée
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